La loi Santé au Travail et ses effets sur le dialogue social et la démarche de prévention santé en entreprise
La loi dite Santé au Travail émane d’un processus de réflexion et de négociations entamé en 2018 avec la remise du rapport Lecocq au Premier Ministre proposant de réorganiser en profondeur le système de la santé au travail. De ce travail a découlé la signature, en décembre 2020, d'un Accord national interprofessionnel pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail (ANI, avis 5 fev. 2021, NOR : MTRT2104195V).
Cet accord national interprofessionnel a servi de socle à la présente loi qui a été adoptée le 23 juillet 2021 par le Parlement et publiée au Journal Officiel le 3 août 2021. Ainsi, la loi n°2021-1018 dite aussi « loi Santé au Travail », a pour objectif de renforcer la prévention en entreprise, de prévenir la désinsertion professionnelle et d’améliorer le suivi individuel et médical des salariés. Cette loi est entrée en vigueur au 31 mars 2022, des décrets d’application doivent encore être publiés sur certains points.
Nous retraçons ci-dessous les impacts les plus emblématiques de cette loi sur le champ des prérogatives des représentants du personnel élus au CSE :
L’article L.1153-1 du Code du travail relatif au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes a été révisé et aligné sur la définition qu’en donne l’article 222-33 du Code pénal. Les modifications apportées à cet article mettent l’accent sur les agissements sexistes et sur les phénomènes de harcèlement moral de groupe.
Cette dynamique législative renforce la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et vient préciser clairement que, en ce qui concerne le droit du travail et le contentieux prud’homal, l’élément intentionnel n’est pas nécessaire pour constituer le harcèlement, celui-ci étant constitué par le seul fait d’avoir subi (i.e. d’avoir été exposé à) des propos ou comportements caractéristiques des violences sexuelles et/ou sexistes.
==> Ces évolutions viennent rappeler et renforcer les obligations de prévention de l’employeur en matière de harcèlement et d’agissements sexistes :
- L’employeur doit mettre à jour son règlement intérieur et actualiser son affichage en intégrant les nouvelles dispositions juridiques sur le harcèlement moral/sexuel et les agissements sexistes (articles révisés L.1152-2, L.1153-2, L.1153-4, suppression du L.1153-3 Code du travail). Rappel : La modification du RI doit faire l’objet d’une information-consultation du CSE (art. L.1321-4 du Code du travail).
- Mettre en place des actions de sensibilisation et de prévention contre le harcèlement sexuel, le sexisme et les différentes formes de harcèlement moral
- Désigner un référent harcèlement sexuel et agissements sexistes « employeur » lorsque l’entreprise emploie au moins 250 salariés qui sera chargé d'orienter, d'informer et d'accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes (art.L.1153-5-1 Code du travail)
- Procéder à la désignation d’un référent harcèlement sexuel et agissements sexistes parmi les élus du CSE et/ou parmi les salariés. Si le Code du travail n’ouvre pas de droit à la formation spécifique pour ce référent, il est toujours possible de porter le point à l’ordre du jour d’un CSE pour négocier les moyens mis à disposition du CSE pour conduire au mieux ses missions et ainsi renforcer la politique de prévention
- S'assurer qu'il existe un dispositif de signalement de ce type de situations dans l'entreprise et que les salariés en aient bien connaissance
La loi vient spécifier l’un des 8 thèmes obligatoires de négociation annuelle (art.L.2242-1 et art. L.2242-13 du code du travail) soulignant qu’il ne s’agit plus de négocier uniquement sur la « qualité de vie au travail » (QVT), mais bien sur la « qualité de vie et des conditions de travail » (QVCT).
==> Ces évolutions viennent renforcer les obligations de prévention de l’employeur en matière d’analyse des conditions de travail des salariés.
La loi Santé au travail et son décret d’application n°2022-395 du 18 mars 2022 viennent renforcer la démarche d’évaluation des risques au moment où le document unique d’évaluation des risques professionnels fête ses 20 ans d’existence (il avait été créé par le décret n°2001-1016).
Ainsi un nouvel article est introduit au code du travail rappelant et précisant les finalités de l’évaluation des risques qui sont de hiérarchiser les risques pour définir des actions de prévention pertinentes,de répertorier « l’ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs » et de faciliter la traçabilité collective de ces expositions (art.L.4121-3-1 du code du travail).
La loi Santé au travail a également introduit par son article 5 la notion de « polyexpositions » engageant à une démarche d’évaluation et de cotation des risques plus exigeante pour l’employeur afin que le DUERP tienne bien compte des effets combinés de l'ensemble des facteurs de risques, en cas d'exposition simultanée ou successive à plusieurs agents chimiques (art. R. 4412-6 code du travail).
Une nouvelle obligation est également faite à l’employeur en matière de traçabilité des expositions, d’archivage et de conservation du DUERP. Ainsi les différentes versions du DUERP doivent désormais être conservées sur une durée de 40 ans et celles-ci devront être tenues à la disposition des travailleurs en poste, mais également des« anciens travailleurs ainsi que de toute personne ou instance pouvant justifier d’un intérêt à y avoir accès » (art. L.4121-3-1, V). Le DUERP devra également être déposé sur un portail numérique à compter du 1er juillet 2023 pour les entreprises de plus de 150 salariés et au plus tard au 1er juillet 2024 pour les entreprises dont l’effectif est inférieur à 150 salariés.
==> Un décret doit venir préciser les modalités de fonctionnement de l’organisme gestionnaire de ce portail et les modalités d’accès sécurisé à ce dernier .
L'obligation est aussi faite à l'employeur de tenir le DUERP à la disposition du service de prévention et de santé au travail dans son ensemble (et non aux seuls médecins du travail et autres professionnels de santé comme le stipulait jusqu’ici l’article L. 4624-1 code du travail). Cette équipe peut comprendre,évidemment des médecins du travail, des collaborateurs médecins, des internes en médecine du travail, des infirmiers (dont le statut a été consacré dans le code du travail), mais aussi des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP). Peuvent aussi faire partie du SPST des assistants de services de santé au travail et des professionnels recrutés après avis des médecins du travail.
Enfin, la loi indique que le CSE est informé et consulté sur le DUERP et sur ses mises à jour successives (art. L.4121-3 du code du travail). Le CSE a donc un rôle important à jouer dans l’élaboration du DUERP puisqu’il est indiqué que le « CSE et sa CSSCT apportent leur contribution à l’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise ».
==> Ces évolutions viennent renforcer les obligations de l’employeur en matière d’évaluation des risques et de mise en œuvre d’une démarche structurée, régulière et co-construite d’élaboration du DUERP et de conservation de celui-ci. Pour le CSE (et la CSSCT quand elle existe) cela suppose donc d’être attentif au fait :
- De disposer des sources d’informations utiles pour participer à l’élaboration élaborer du DUERP
- De disposer d’une présentation de la méthodologie retenue par l’employeur pour concevoir le DUERP
- D’être formé (5 jours de formation obligatoire pour les élus au CSE lors du 1er mandat puis 3 jours lors de renouvellement, mais il est aussi possible de négocier des temps de formation complémentaires et « ciblés » auprès de l’employeur en CSE) ;
- D’être associé à la démarche en ses différentes étapes pour pouvoir discuter les risques identifiés, les cotations et faire remonter des situations et risques particuliers et participer à l’actualisation du document en cas d’accident,maladie, projet, etc.
- De veiller à la bonne consultation du CSE sur le DUERP une fois celui-ci établi et à chacune de ses actualisations, notamment lorsqu’il y a un projet important modifiant les conditions de travail, un accident, une maladie professionnelle, des violences au travail (harcèlement, suicide, agression, etc.), etc.
S’articulant avec les révisions qui touchent à la démarche d’évaluation des risques et à sa mise en forme au travers du DUERP, la loi Santé au travail vient préciser les modalités de structuration du programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail (PAPRIPACT). Celui-ci doit contenir une liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir avec, pour chacune de ces actions de prévention et de protection : ses conditions d’exécution,des indicateurs de résultat, l’estimation de son coût et un calendrier de mise en œuvre.
Toutes les entreprises, quelle que soit leur taille (à partir de 11 salariés), doivent disposer d’une liste annuelle d’actions de prévention et de protection, mais les exigences de structuration de celle-ci varient selon l’effectif employé par l’entreprise. Ainsi, les entreprises de 11à 49 salariés peuvent intégrer la liste d’actions de prévention à leur DUERP.
Ce plan d’action doit être présenté au CSE dans toutes les structures dont la taille excède les 50 salariés (art. L2312-27 du code du travail) et donne lieu à une consultation de l’instance.
Le rôle des branches dans l’accompagnement des entreprises (notamment des petites structures) à formaliser leur démarche d’évaluation des risques et de définition des actions de prévention a également été précisé (art.L4121-3-1, IV).
==> Ces évolutions viennent renforcer les obligations de l’employeur à mieux structurer son plan d’action ce qui peut en rendre l’usage du plan et le suivi des mesures plus efficaces à terme. Le CSE doit donc être vigilant sur le format de présentation du PAPRIPACT au moment de la consultation annuelle sur ce document afin que celui-ci devienne un outil de travail plus opérationnel.
==> Le CEDAET consacre une notice actualité complète à cette question sur une autre page de son site.
En particulier sur le risque chimique puisque la Loi introduit, par son article 5, la notion de « polyexpositions » dans les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs (article L.4412-1 code du travail).
==> Pour aller plus loin sur la question des situations de "polyexpositions" la consultation du dossier qu'y consacre l'INRS peut s'avérer utile.
La loi renforce également les obligations de l'employeur en matière de contrôle de la conformité des équipements de travail et des équipements de protection individuelle (EPI) et alourdit notamment le régime de sanction pénale applicable aux fabricants et distributeurs en cas d’infractions ou de manquements aux règles relatives à la conception, fabrication et à la mise sur le marché de ces équipements.
==> Le CSE (ou la CSSCT quand elle existe) doivent être vigilant sur les opérations de contrôle que l'employeur déploie en la matière et peuvent demander à être informés sur les résultats de ces opérations et sur les choix que l'employeur fait en matière d'équipements de protection (renouvellement de marché, nouveau choix de fabricants/fournisseurs, etc.).
Avec cette loi et par l’article L.2314-3 du code du travail, les services de santé au travail (SST) sont renommés et deviennent donc des services de prévention et santé au travail (SPST).
Leurs missions se voient spécifiées et élargies par la révision de l’article L.4622-2 du code du travail qui inscrit plus fortement leur action dans le cadre d’enjeux de santé publique, dans un contexte sociétal et économique marqué par le télétravail et par des changements organisationnels au sein des entreprises nécessitant à ces SPST de se pencher sur les risques professionnels, mais aussi plus précisément sur les conditions de travail.
De nouveaux champs d’intervention et de vigilance renforcée sont ainsi donnés aux Services de Prévention et de Santé au Travail Interentreprises (SPSTI). Ce dans l'objectif qu'ils participent à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dans le cadre de la stratégie nationale de santé. Leur mission ne se limite plus à « éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail » et est étendue à la contribution à « la réalisation d’objectifs de santé publique afin de préserver, au cours de la vie professionnelle, un état de santé du travailleur compatible avec son maintien en emploi ». Les actions suivantes participent ainsi pleinement du nouveau rayon d'intervention des SPSTI : campagnes de vaccination, campagnes de dépistage, actions de sensibilisation aux bénéfices de la pratique sportive, actions d'information et de sensibilisation aux situations de handicap au travail.
La loi Santé au travail précise clairement le fait que le médecin du travail doit consacrer le tiers de son temps de travail à ses missions en milieu de travail.
Elle précise également que l’Infirmier de santé au travail exerçant en SPST est diplômé d’État ou dispose de l’autorisation d’exercer sans limitation, dans les conditions prévues par le code de la santé publique, qu’il doit bénéficier d’une formation en santé au travail. Si cela n’est pas le cas au moment de son embauche, alors, l’employeur l’y inscrit au cours des douze mois qui suivent son recrutement et, en cas de contrat d’une durée inférieure à douze mois,avant le terme de son contrat. Dans cette hypothèse, l’employeur prend en charge le coût de la formation.
Par ailleurs cette loi amène les services de prévention et santé au travail inter-entreprises a acquérir une certification réalisée par un organisme indépendant dans un délai de 2 ans à compter de la publication du décret relatif au cahier des charges de cette certification (==> décret encore non paru).
De plus ces SPST inter-entreprises, pourront au 1er janvier 2023 s’appuyer sur des praticiens qui ne seraient pas médecins du travail, mais des médecins praticiens identifiés comme volontaires pour assurer une partie des visites d’information et de prévention.
==> Ces évolutions entendent pallier aux problématique du nombre et du recrutement de médecins du travail en France et viennent renforcer l’aire d’intervention des intervenants des SPST. Par ailleurs la loi Santé Travail engage les employeurs à participer activement sur le plan financier à la formation continue des infirmiers en santé au travail qu’ils recrutent.
Une attention du CSE à ces modifications du fonctionnement du service de santé et de prévention au travail, s’avère importante puisque celui-ci est un partenaire pour l’action de l’instance dans le domaine santé sécurité au travail (en cas d’accident du travail, de maladie professionnelle, d’accompagnement des situations particulières, des inaptitudes, reprises d’activité, mais aussi en cas de projet de réorganisation impactant l’organisation et l’environnement de travail), mais aussi pour pouvoir mieux informer les salariés sur les ressources dont dispose l’entreprise en matière d’intervenants spécialisés.
Le CSE doit être attentif au fonctionnement renouvelé du SPST de sa structure et veiller à ce que l'employeur lui transmette bien les documents utiles à ses missions relatifs l'action et le diagnostic en santé au travail que peut poser le SPST (rapport annuel du médecin du travail et du SPST, bilan sur les actions réalisées de sensibilisation, etc.). Ces évolutions peuvent aussi être une occasion pour renouveler les rapports qu'entretiennent l'instance représentative du personnel et le SPST.
L’article 24 de la loi, modifiant l’article L.4621-4 du code du travail, ouvre à un meilleur suivi médical des travailleurs quel que soit leur statut ou fonction puisque l’accès au service de santé et de prévention inter-entreprises ou autonome sont désormais accessibles aux intérimaires, aux sous-traitants (convention à conclure entre les employeurs des entreprises utilisatrices / donatrices), aux chefs d’entreprise ainsi qu’aux travailleurs indépendants (possibilité libre d’affiliation au SPST de l’entreprise dans laquelle ils interviennent).
Cette loi modifie également la fréquence et les modalités du suivi médical des travailleurs:
- Les visites de pré-reprises sont mises en place (avec accord du salarié) uniquement pour les arrêts supérieurs à 30 jours
- Les visites de reprise sont réservées au cas d’arrêts de travail d’au moins 60 jours ainsi que, sans condition de durée, aux arrêts liés à un accident du travail, à une maladie professionnelle ou à un congé maternité
- Des visites de mi-carrière doivent être organisées à une échéance déterminée par accord de branche ou, à défaut, durant l’année civile du 45ème anniversaire du travailleur. Elles sont réalisées par le médecin du travail ou l’infirmier en santé au travail exerçant en pratique avancée. Ses objectifs sont d’établir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur à date
- Des rendez-vous de liaison peuvent être mis en place pendant l’arrêt de travail lorsqu’il s’agit d’arrêts longs avec accord du salarié
==> Le CSE doit être attentif à la mise en œuvre concrète de ce volet de la loi Santé au Travail en particulier sur le plan de l'information délivrée aux travailleurs (tous statuts confondus) sur le type de suivi médical dont ils peuvent disposer et sur les nouvelles "visites et rendez-vous" qui sont instaurés.
Le CSE doit être particulièrement vigilant sur les documents (rapport annuel médecin du travail et SPST par exemple) qui lui sont remis afin que ceux-ci lui permettent de disposer d'informations complètes et de qualité sur le suivi médical qui a pu être déployé vers chacune des populations de travailleurs et sur l'état de santé au travail de celles-ci afin de pouvoir exercer pleinement ses missions et proposer des pistes d'actions de prévention adaptées.
Pour rappel les attributions du CSE ( art. L2312-6 du code du travail) s'exercent au profit des travailleurs au sens de l'article L. 4111-5 en matière de santé, sécurité et conditions de travail. Les travailleurs étant aussi bien les salariés, y compris temporaires, et les stagiaires, ainsi que toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l'autorité de l'employeur, que les salariés d'entreprises extérieures qui, dans l'exercice de leur activité, ne se trouvent pas placés sous la subordination directe de l'entreprise utilisatrice, pour leurs réclamations individuelles et collectives, intéressant les conditions d'exécution du travail qui relèvent du chef d'établissement utilisateur ou encore des salariés temporaires pour certaines de leurs réclamations en matière de rémunération ( art. L. 1251-18), en matière de conditions de travail (art. L. 1251-21 à L. 1251-23), en matière d'accès aux moyens de transport collectifs et aux installations collectives de conditions de travail (art. L. 1251-24).